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vendredi 23 mars 2018

Chasse aux trésors dans la Seine : les Boules de Moulins



Oui, il y a sans aucun doute une multitude de trésors immergées dans la Seine mais nous allons évoquer aujourd'hui de véritables trésors historiques dont la moitié n'a pas encore été retrouvée !



(Source: http://www.ladressemuseedelaposte.fr)


Il s'agit des Boules de Moulins.


Qu'est-ce donc ? 

Il faut faire un bond dans l'Histoire et atterrir en 1870, le 18 septembre pour être exact. 
C'est la guerre ! Les prussiens commandés par Bismarck ont pénétré loin en France et assiègent Paris. La capitale est coupée du reste du monde. 
Cela va durer quatre mois pendant lesquels Paris ne peut pratiquement plus communiquer avec le reste de la France.
Pratiquement plus, car l'ingéniosité humaine fait que l'on trouve très vite des parades telles que les envois de messages par ballons à air chaud, par pigeons voyageurs, etc.
Mais si Paris arrive à envoyer des messages vers la province, il est difficile d'en envoyer à Paris : le vent n'amène pas les ballons là où il faut et les pigeons ne reviennent pas toujours...

Dès le mois d'octobre 1870, un ingénieur, Emile (ou Louis-Emile) Robert, sollicite une entrevue avec le général Louis Trochu (gouverneur de Paris, président du gouvernement de la défense nationale). Il est en effet le co-inventeur avec Pierre-Charles Delort et J. Vonoven (ou Von Voven selon les sources) d'un procédé permettant de transporter les dépêches officielles et  la correspondance des particuliers de la province vers Paris par la voie fluviale. Bien évidement, il ne fallait pas que les prussiens interceptent le courrier alors cette invention s'inspirait en le développant d'un système utilisé par les contrebandiers de tabac dans les eaux de l'Yser à la frontière franco-belge.

Ce système est ingénieux : il est basé sur la fabrication d'une sphère de 2 kilos, creuse et en zinc. Elle mesure environ 20 cm de long et 12 cm de diamètre. Elle est munie de douze ailettes et son poids est légèrement supérieur à celui de l'eau. Il ne faut une différence de poids que d'un milligramme et la boule s'appuie légèrement sur le lit du fleuve. Ainsi, elle roule, emportée par le courant grâce à ses ailettes qui jouent le même rôle que les aubes sur les roues des moulins.


(Source: https://fr.wikipedia.org)

(Source: http://www.ladressemuseedelaposte.fr)
(Source: http://www.ladressemuseedelaposte.fr)


Une boule est conçue pour contenir entre 500 et 700 lettres ! Elle est rendue hermétique au moyen d'une soudure. Légèrement oblongue, deux cavités sont situées à ses extrémités et elles sont obturées après avoir été remplies d'air pour le lestage.

Il y a peu de photos disponibles de ces Boulets de Moulins, en dehors de celle que j'ai affichée un peu plus haut et qui figurent sur le site du musée de la Poste. C'est le monde de la carte postale qui vient à mon aide pour illustrer cet article et vous montrer à quoi elles pouvaient ressembler :


(Source: www.delcampe.fr)


(Source: www.delcampe.fr)



(Source: www.delcampe.fr)



Il faut toutefois un certain délai pour préparer cette affaire : déjà sortir de Paris en ballon avec quelques prototypes, organiser la fabrication en série en province et centraliser le courrier à destination de Paris dans une localité. Ensuite, il suffira de mettre les engins dans la Seine, au plus près des avant-postes prussiens et de tendre à Paris des filets dans la Seine pour pouvoir les récupérer.
La poste sous-fluviale était créée.

C'est Delort et Robert qui se chargent de l'organisation en province. Pour cela, il leur faut quitter Paris, ce qu'ils vont faire grâce à un ballon fabriqué pour la circonstance (le "Denis-Papin"). Ce ballon sera dirigé par Daumalin, un marin détaché du Fort d'Ivry. C'est de la cour de la messagerie de la gare d'Orléans qu'ils s'élèvent avec le ballon ! Vonoven, de son côté, reste dans la capitale pour organiser l'arrivée des boules.

Moulins...


Oui, elles auront été appelées les Boules de Moulins car c'est de cette ville de l'Allier que la Poste va s'organiser. L'administration postale fait paraitre une circulaire adressée à tous ses établissements pour centraliser le courrier destiné à Paris. Les établissements doivent s'assurer de la régularité du poids de la lettre (4 grammes) et de son affranchissement (1 franc au lieu des 20 centimes habituels à l'époque). Ils doivent en oblitérer les timbres avec une mention anodine pour ne pas éveiller l'attention de l'ennemi: "Paris, par Moulins, Allier". Ensuite, ils doivent les acheminer rapidement vers le bureau de Moulins-sur-Allier qui est chargé de les entreposer avant leur expédition.

Le directeur des postes de Moulins, M. Bertrand, se dévoue entièrement à la réalisation de ce projet et il participe à la fermeture des boulets soudées par Delort.

Stockées à Cosne-sur-Loire, les Boules scellées sont prêtes à partir. Les premiers largages sont réalisés par Robert à Bray-sur-Seine en Seine et Marne, puis suivent de nombreux autres à Thomery et au pont de Samois.
Robert traverse ainsi les départements de l'Yonne, du Loiret et de la Seine et Marne pour transporter les Boules à pied, en voiture, et à cheval, souvent déguisé en paysan. Hélas, le 1er février, il apprend avec consternation la reddition de Paris. Ses écrits montreront qu'il a ainsi transporté et largué dans la Seine quelques 55 boules.

J. Vonoven, pour sa part, n'est pas en reste: malgré les bombardements, la neige et le gel, il est présent à son poste sur les bords de Seine matin et soir pour retrouver la première Boule dans les filets qui sont tendus jusqu'au fond de la Seine pour les arrêter. Ils les a fait placer derrière les lignes prussiennes, au niveau du Port à l'Anglais à Alfortville.  Hélas, le froid est de plus en plus intense et en amont de la Seine, des blocs de glace se sont formés et se détachent. Ils dériveront sur la Seine, emportant ou déchirant les filets sur leur passage.
Quelques articles estiment que les prussiens avaient également tendu des filets pour attraper ces boules mais je n'ai pu trouver aucune confirmation de ce qui ne reste qu'une hypothèse. 

Ainsi, 55 boules ont été envoyées entre le 4 et le 29 janvier 1871, date à laquelle le service a été interrompu. L'idée était sans doute brillante mais le constat est accablant : sans doute envasées, bloquées par des obstacles, voire interceptées par les prussiens ou n'ayant pas été stoppées par les filets de Vonoven, aucune boule n'a été récupérée pendant le siège ! 


Officiellement, la première boule récupérée sera repêchée aux Andelys dans l'Eure en mars 1871, d'autres le seront à Quitteboeuf, au Havre ou à Choisy-Le-Roi. 


(Source : https://fr.wikipedia.org)


Quelques autres Boules de Moulins seront ainsi récupérées au fil du temps, la majeure partie avant 1910. Après cette date, les repêchages s'espacent :
- En 1910, un habitant de Chatou trouve une de ces boules dans son jardin ! les eaux de la Seine en crue l'avaient déposée là.
- En 1942, c'est un scaphandrier qui remonte une boule alors qu'il plongeait au pied du pont de Fer à Melun, en Seine et Marne.
- En 1951, c'est un groupe d'étudiants qui découvre une boule dans les roseaux à Bazoches-les-Bray, en Seine et Marne. Tout d'abord prise pour une bombe, la boule fut finalement ouverte par des enfants, à coup de burin. L'humidité avait fait peu de dégâts sur la correspondance. Hélas, les enfants, désintéressés par ces lettres les laisseront sur place à la fin de leurs jeux et elles seront abimées par la pluie de la nuit. Cette découverte donnera lieu à un roman "Le Collier de Feu".
- En 1954, une deuxième découverte eu lieu à Bazoches-les Bray.
- En 1956, une boule est découverte à Montereau, sans autre précision.
- En 1968, à Saint-Wandrille, en Seine-Maritime, M. Le Grevellec, un ouvrier dragueur remonte une boule avec son engin. Il essayera de faire valoir ses droits sur ce petit trésor de 550 lettres mais une ordonnance de Colbert à propos des épaves fluviales a permis à la justice de rejeter sa demande au bout de cinq années et la Poste put ainsi restituer une partie des lettres aux héritiers des destinataires.
- En 1982, c'est un habitant de Vatteville-La-Rue, également en Seine-Maritime, M. Jacques Duval, qui découvre à son tour une Boule. En 1988, il y aurait eu une seconde découverte à Vatteville.
Ces dernières découvertes donneront lieu à des recherches des services postaux pour distribuer le courrier aux descendants des destinataires. La valeur de ces lettres est telle que la Poste appliquera un marquage pour en certifier l'authenticité. Sur les sites spécialisés, nous pouvons encore trouver des lettres  "par Moulins (Allier)" mise à prix entre 1 500 et 3 000 euros en fonction des timbres qu'elles portent et de leur état.


(Source :www.delcampe.fr)


Entre le 6 mars 1871 et le 14 avril 1982, 33 boules ont été repêchées. 

Si l'on reprend les rapports de Robert, il reste donc 22 exemplaires à retrouver dans la Seine. Immergées, envasées, il y en a peut-être une à proximité de votre bateau. 
Rendez-vous compte, entre 500 et 700 lettres manuscrites et timbrées, plus sans doute quelques dépêches officielles, quel trésor de l'Histoire !




Sources :

- http://ballons-montes.com:80/historique/boules-de-moulins : Un excellent site qui n'est plus accessible hélas.
http://www.ladressemuseedelaposte.fr
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Boule_de_Moulins
- Le Monde colonial illustré, édition de mai 1940
- Bulletin de la société archéologique, historique et artistique Le Vieux Papier, édition de 1963
- Les Mots de l'Histoire, Jacques Boudet, édition de 1990
- Le Vieux Montmartre, Société d'Histoire et d'Archéologie, édition de 2000.






2 commentaires:

  1. Bonjour, C'est un très bon article sur les Boules de Moulins qui me plaît . Merci de l'avoir lancé sur le Net . Espérons que les autres boules seront retrouvées . Quel patrimoine !!! .

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